La poste allemande : la face cachée de la privatisation

Publié le par Don Popiet

Douze ans après le lancement de sa privatisation, les bénéfices de la Deutsche Post, leader mondial de la logistique, se comptent en milliards. Malgré l’ouverture à la concurrence, 90% de la distribution de courrier en Allemagne passe encore par ses services. Non sans des diminutions drastiques d’effectifs et l’abandon des activités peu rentables.

En Allemagne, à l’heure de la tournée, les facteurs à vélo se déclinent en jaune, vert ou orange, selon qu’ils appartiennent à la Deutsche Post, l’historique, à PIN-Group ou à TNT-Post. Quant aux vieux bureaux de poste jaunes, ils sont appelés à disparaître définitivement d’ici 2011. Trop coûteux en personnel. Le supermarché discount Aldi, l’épicier ou le boulanger du coin feront aussi bien l’affaire.

Qu’il semble loin le temps du service public postal. Outre-Rhin, la poste n’a plus le monopole sur le marché du courrier et du colis depuis 1998. Le dernier bastion protégé, le secteur des lettres de moins de cinquante grammes a cédé le janvier 2008.

Anticipant cette ouverture à la concurrence, la Deutsche Post World Net (le groupe) a été l’une des premières en Europe à s’engager sur la voie d’une privatisation, toujours pas finalisée.

Investissement sur la logistique au détriment du courrier

En 1996, la Deutsche Post devenait société et cotait ses premières actions en bourse en 2000. Jackpot. Douze ans plus tard, le groupe compte ses bénéfices en milliards (4,2 en 2008), affiche un capital de 63,5 milliards d’euros avec un demi million de salariés dans le monde. C’est le leader mondial de la logistique. Plus de la moitié de son chiffre d’affaires (59%) est réalisé hors d’Allemagne.

Son succès économique s’est construit à coups de rachats, de diversification et de liquidation des activités les moins lucratives, comme l’analyse Isabelle Bourgeois, chargée de recherches » au CIRAC (centre d’information et de recherche sur l”Allemagne contemporaine), rédactrice en chef de Regards sur l’économie allemande  :

« Ils ont mené une politique de diversification : ils savaient qu’ils allaient être ouverts au marché. Ils ont réagi tôt et pris le temps de se préparer en profitant de leur situation de monopole. »

En quelques années le groupe a avalé successivement Danzas, groupe de logistique suisse, Air Express International, le français Ducros, le suédois ASG et surtout DHL, le géant américain, dopant son département logistique au détriment de son activité courrier : moins intéressante financièrement, cette dernière ne représente plus que 20% de son chiffre d’affaires et son l’effectif a été divisé par deux en dix ans !

Même régime drastique pour les bureaux de poste. 26 000 avant la privatisation, 13 000 aujourd’hui dont beaucoup sont de simples point de vente « filialisés ».

Un salaire minimum, l’exception allemande

Malgré ce désintérêt pour sa mission d’origine, la Deutsche Post continue d’occuper 90% des parts du marché du courrier allemand. Le reste se partage entre sept cants petites PME et deux grosses entreprises venues se positionner  : la poste néerlandaise TNT et le groupe PIN, fondé en 2005 par trois entreprises des médias dont Axel Springer (propriétaire de Bild et Die Welt).

L’ouverture à la concurrence aurait ainsi généré 46 000 nouveaux emplois, selon la Bundesnetzagentur qui délivre les licences de distributeur. PIN-Group finit cependant l’année exsangue. La moitié de ses employés ont été licenciés et il cherche de toute urgence un repreneur.

En cause, l’accord sur un salaire minimum dans les entreprises postales, conclu entre le syndicat Ver.di et le patronat, et voté par le Parlement en décembre dernier. 9,80 euros de l’heure à l’Ouest, 9 euros à l’Est, presque un miracle pour un pays où le SMIC n’existe pas. C’était encore trop pour ces nouveaux arrivants sur le marché, décidés à se construire sur de l’emploi précaire, très mal payé, quand ce ne sont pas des mini-jobs à quatre cents euros par mois.

Avec ce salaire plancher, le géant allemand tenait aussi un moyen d’affaiblir la concurrence avant la levée du dernier monopole le 1er janvier 2008. La même Deutsche Post a visiblement moins de scrupule à pratiquer en Hollande « des salaires inférieurs de 66% à ceux de la poste hollandaise », selon l’un des dirigeants de Ver.di, Rolf Büttner. Et à sous-traiter en Allemagne à des sociétés de taxi bien en dessous du tarif négocié de neuf euros.

Vente de la banque postale

Au printemps, il a encore fallu des grèves de Ver.di pour que la clause de non-licenciement, dernière survivance du temps de l’entreprise étatique, soit maintenue et que la semaine de 38,5 heures soit encore la norme. Une manière de lisser la condition des salariés de Deutsche Post qui sont logés à deux enseignes. Ceux recrutés après la privatisation et sous régime privé, moins avantageux. Ceux d’avant, encore aujourd’hui soixante mille, qui bénéficient toujours de leur statut de fonctionnaire.

Pour l’heure c’est le volet bancaire, la Post Bank, qui préoccupe les dirigeants de Deutsche Post AG. Le conseil de surveillance se réunit le 12 septembre pour discuter de sa vente éventuelle. Il en espéraient une somme juteuse de dix milliards d’euros. Mais dans un contexte de crise bancaire et de dégringolade du cours de son action cet été, les marchés l’estiment autour de sept milliards.

Dans ces conditions, la cession pourrait être retardée. L’Etat allemand, encore actionnaire, ne compte pas brader la plus grande banque de particulier du pays.

Publié dans Actu

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