Poulet grillé

Publié le par Don Popiet

Philippe Pichon, 37 ans, commandant de police. Cet humaniste exalté est menacé de mutation disciplinaire pour avoir manqué, dans son livre, à l'obligation de discrétion

Son roman pourrait s'intituler Saint Pichon, policier et martyr. Le film inspiré de son combat contre l'institution, Il faut sauver le commandant Pichon ou Police Pichon 357, tant il admire le cinéma de genre à la française. Difficile de consigner toutes les mésaventures donquichottesques de ce «vilain petit canard de la police», comme il se définit. Ce préquadra, père divorcé d'une fille de 7 ans, affirme «vouloir faire circuler la parole au sein de l'institution. Car des policiers bien dans leurs baskets sont plus à l'aise sur le terrain». Seulement voilà, policier bien noté depuis quinze ans ­ 7 sur 7 presque toute sa carrière ­, il risque tout simplement de devoir rendre son uniforme. Unanimement décrit comme «exalté», «atypique»,  «un peu chien fou» par ses anciens collègues, ce trouble-fête sème en effet un joyeux bordel éthique et médiatique dans la très malmenée institution policière. Affecté au commissariat de Coulommiers, la ville tranquille de Guy Drut en Seine-et-Marne, ce flic de vocation vient de se voir notifier deux mises en garde par sa hiérarchie départementale. «Ils m'ont auditionné pendant deux heures comme un voyou,  sur le mode "Salopard, on va te briser les reins !"  Je me suis senti humilié.» Le flic reconnu, soutenu jusque-là par un chef de service, «un type humain qui adore la peinture italienne», s'est vu signifier une mutation disciplinaire prochaine à Meaux .
Dire qu'il s'y attendait ne semble pas exagéré. Dire qu'il l'a un peu cherché, non plus. Ce passionné de littérature, ancien sorbonnard en lettres modernes et khâgneux du lycée Fénelon à Paris, se vit comme le héros d'une épopée moderne. Ses ennuis commencent vraiment en mars, avec la publication de Journal d'un flic. Il y décrit sur un mode qu'il veut «simple et honnête» ses années 90 au sein des unités mobiles de sécurité en Seine-Saint-Denis. Puis, le début 2000, dans un tout autre genre, à Saint-Tropez (Var). La police, dépeinte comme une vaste terre de contrastes : «Le contact que l'on peut avoir avec des crapules déguisées en honnêtes gens est finalement beaucoup plus démoralisant que la castagne quotidienne dans les cités sensibles.» Ce fou de Céline ­ «Mon seul point commun avec Sarkozy», s'amuse-t-il ­ voue à la banlieue une passion romanesque. «Je suis banlieusard, nous écrit-il dans un mail, avec "banlieusard" en italique s'il vous plaît, voilà mon identité.» 
Le magasin de fleurs des parents fait face à la cité des Fauvettes, à Gagny (Seine-Saint-Denis). La famille rentre le soir dans un petit pavillon. Ambiance plutôt gaulliste à la maison «mais sans militantisme». Aimante, mais pas très causante. Le père a fait la guerre d'Algérie, sans en parler vraiment. La mère a commencé à travailler à 13 ans. Les Pichon n'ont pas fait d'études mais lisent la presse avec gourmandise et assiduité. Le Monde notamment. Comme beaucoup de parents méritants, ils misent sur les études de Philippe et de sa soeur cadette, aujourd'hui dans la pharmacie. Ils le voient bien en filière scientifique. Lui affiche déjà une propension à l'indocilité familiale et à l'extraversion scolaire. «Communique beaucoup à l'oral. Parfois trop», écrit un prof sur son bulletin. Un autre, de lettres, lui fait découvrir Céline. «Un électrochoc». Il ne jure plus que par la lecture et l'écriture. «Les livres m'ont sauvé», déclare-t-il avec emphase. Il veut dire «sauvé vraiment». Une agression physique à l'âge de 7 ans, sur laquelle il ne s'étend pas, l'a affranchi pour toujours. «C'est ma faille. Seule la littérature m'a permis de la transformer.» Dès lors, il se voit pour toujours «à la fois très présent et un peu absent au monde». Par défiance familiale, il passe un bac A1 (littéraire) assorti d'un joli «5 en maths». Et on ne voit toujours pas le rapport avec la police. Si : en khâgne, au lycée Fénelon, il tombe amoureux de la nièce d'un ancien ministre de l'Intérieur, une «super blonde». Coup de foudre non réciproque. Elle lance à l'ancien du lycée Clemenceau de Villemomble, texto : «Toi, tu sens la banlieue.» 
Cette période lui a laissé le souvenir de classes de 75 élèves, où seules 45 chaises permettent de s'asseoir. En même temps qu'elle lui a permis de développer ses capacités de travail et son sens affûté de l'analyse. A l'époque, il ne connaît la police qu'à travers de vagues cousins gardiens de la paix, dont «l'un faisait sauter onze PV sur douze». Et les films en imper avec Lino Ventura. L'ado romantique qui écoute Siouxsie and the Banshees, mais néglige les slogans anti-Devaquet de l'époque, veut en découdre avec la société. Et vérifier que Jacques Becker et José Giovanni ne lui ont «pas raconté de conneries». 
Vingt-quatrième au classement de sortie d'«officier de paix». Il aime bien cette terminologie pacifiste, qui correspond  à son idéal du Moi policier . «Je suis officier DE paix, ne me demandez pas de partir à la guerre», écrit celui qui vote blanc dans une lettre ouverte au ministre de l'Intérieur Sarkozy, envoyée à Libération. Ultralégaliste, hyperformaliste, le jeune Pichon n'a rien d'un poète lunaire ou d'un bouffon fanfaron égaré dans la police. Juste un peu schizo, clivé : «Parfois, confesse-t-il, le littéraire prend le pas sur le policier.» A l'inverse du personnage de Thierry Lhermitte dans les Ripoux, il sait très tôt amadouer les vieux briscards. Dès ses débuts à Rosny-sous-Bois, où il a demandé à être affecté, il joue le jeu des rites d'initiation bizuteurs. Il gagne le respect des collègues et de sa hiérarchie. «Leader charismatique, voire chef de meute», dit une note annuelle. L'un de ses anciens directeurs de la Sécurité publique en Seine-Saint-Denis, Daniel Quantin, garde de lui «un bon souvenir» : «Sympathique, bouillonnant, sensible. Trop peut-être.»  «Un excellent policier de terrain», déclare à l'AFP, qui l'interroge sur le livre, Dominique Achispon, dirigeant du Syndicat national des officiers de police.
Sur l'un des nombreux plateaux de télé où Philippe Pichon se retrouve bombardé, Michel Polac le défend : «Je préfère un flic qui se prend pour un sociologue à un flic qui se prend pour un auteur de Série noire.» Le problème de la hiérarchie actuelle de Pichon, François Baroin en tête, c'est qu'ils ne peuvent pas lui reprocher grand-chose. Avoir été président de l'Association des poètes de la police, comme Olivier Foll, ancien directeur de la PJ, présida celle des peintres ? Se prendre un peu pour l'équivalent keuf de Patrick Pelloux, le médiatique porte-parole des urgentistes pendant la canicule ? «La comparaison ne me déplaît pas.» Ses manquements à l'obligation de discrétion restent à prouver. «Combien de commissaires commentent chaque jour les affaires en cours ?» se défend-il benoîtement. Certes, on l'a vu dialoguer avec des jeunes dans un reportage de France 2. Les deux jeunes y expliquent calmement, à visage découvert, qu'avec la police, en ce moment, «c'est la guerre». Un scoop. Le commandant Pichon, filmé en tenue, leur répond calmement : «Mais non !». Pas faux. L'obligation de discrétion doit-elle encore viser certains warriors énervés du deux-tons ou un policier qui, comme lui, après avoir dirigé jusqu'à 650 policiers des unités mobiles de sécurité du 93, motards et BAC compris, se demande encore : «Mais enfin, pourquoi parle-t-on de "violences urbaines" ? Vous connaissez des "violences rurales"  vous ?» Ou celui qui rappelle que «seul le discernement du policier peut sauver celui-ci de l'arbitraire, de la violence» ? Un patron affûté de la maison Poulaga résume bien, en off et en ironisant, l'inextricable destin du commandant Pichon : «Nous avons absolument besoin d'officiers comme lui. Mais si chaque flic ramène sa science sans retenue, ce sera vite l'anarchie !.
Philippe Pichon en 7 dates 17 septembre 1969 Naissance à Nogent-sur-Marne. 1991 Officier de paix à Rosny-sous-bois. 1997 Dirige l'unité mobile de sécurité en Seine-Saint-Denis. 15 février 1999 Naissance de sa fille, Manon. Juin 2004 DESS de droit pénal à l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). Mars 2007 Publie Journal d'un flic (Flammarion). 20 avril 2007 Se voit notifier une mise en garde pour «grave manquement à l'obligation de réserve».

Publié dans Actu

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article